jeudi 11 août 2016

Analyse du phénomène Pokemon Go : critiques & opportunités culturelles


« Nos mères ont essayé de nous faire jouer dehors depuis 20 ans. Pokémon GO a réussi en une journée. »

Le phénomène mondial du jeu Pokemon Go a largement dépassé le cadre des fans de Pokemon pour devenir à lui seul un mouvement de société, une 'expérience sociale fascinante', un artefact social et culturel qu’il convient de décrypter.

Le succès vient de la combinaison de multiples raisons sociétales et technologiques :

TECHNOLOGIE + GAME + UNIVERS + RESEAUX SOCIAUX

  • la technologie est en réalité constituée de différentes briques technologiques qui, mises bout à bout, offrent une vraie expérience aux utilisateurs : géolocalisation & réalité augmentée permettant le déplacement en temps réel dans des lieux réels et une interaction entre le monde virtuel et réel ; le tout est embarqué sur l’ordinateur de poche que la plupart des gens possède : le smartphone
  • le processus de gamification rend ludique et peut rendre accroc les joueurs : concept de chasse au trésor, système de médailles et de levels, phénomène de collections des Pokemon, combat entre équipes, défis à réaliser...
  • La licence très fameuse de Pokemon permet aux jeunes générations de se (re)plonger dans un univers et une histoire déjà connus avec une certaine nostalgie (effet Madeleine de Proust) 
  • Le partage sur les réseaux sociaux décuplent l’effet viral et fait de Pokemon Go un vrai mème internet
« J'ai attrapé un Hypocéan au rayon glaces de mon Leclerc ! »

Néanmoins, en ayant moi-même joué (testé) le jeu, voici mes principales critiques à rapprocher du message de Tristan Harris, ex-philosophe produit chez Google, qui promeut le « Times Well Spent ».
  • Pokemon Go peut tout d'abord vraiment provoquer un phénomène d’addiction et de stress chez le joueur qui devient vite accroc et 'scotché' à l’écran de son téléphone ; en effet, on a peur de louper un Pokemon rare qui serrait passé à proximité... cela risque de nous « transformer en zombies boulimiques de notifications et de flux d’infos.. »
Comme l’explique très justement Tristan Harris : « Le truc c'est que... mon téléphone est une machine à sous. Chaque fois que je vérifie mon téléphone, je joue à la machine à sous pour voir ce que je vais obtenir. Que vais-je obtenir ? Chaque fois que je vérifie mes mails, je joue à la machine à sous pour voir ce que je vais obtenir. Chaque fois que je fais défiler le fil d'actualités, je joue à la machine à sous pour voir ce que je vais obtenir. Et le truc c'est que, à nouveau, je sais comment cela fonctionne mais cela ne me laisse pas le choix, je suis attiré dans ce cycle. »

Chaque fois que je joue à Pokemon Go, je joue à la machine à sous pour voir ce que je vais obtenir : un Pikachu ? Un Rondoudou ? ou juste un Chenipan qui passait par là.. J


Control par le dessinateur polonais Pawel Kuczynski
  • La finalité du jeu, le graal suprême est d’attraper tous les Pokemon comme nous le rappelle la chanson du générique de Pokémon « Attrapez les tous ! » ; cela reflète de façon assez caricaturale notre société de croissance à tous prix et de consommation – la volonté d’avoir toujours plus !
  • Le jeu créé ainsi une bulle spéculative fondée sur rien d’utile ou de concret : une vanité incarnée et du « temps dépensé » pour de la distraction futile (NB : ce n’est pas forcément mauvais en soi comme toute distraction mais toute est une question de mesure)
  •  L’aspect positif du jeu souvent mis en avant par les joueurs est que le jeu les fait sortir de chez eux. Cependant, l’immersion dans le jeu grâce à la cartographie virtuelle et la réalité augmentée m’a plus donné l’impression de « regarder sans voir », d’être sorti dehors, certes, mais en étant guidé par une seule et même quête d’obtenir le plus de Pokemon et de passer par le plus de PokeStops possibles. En étant concentré sur cette quête et en ayant constamment l’envie de regarder son écran, l’esprit n’arrive pas à saisir l’épaisseur du moment, ni à finalement apprécier la beauté de l'architecture ou du paysage devant lequel on se tient...

Dans cet article de Rue89 intitulé « Des millions d’heures sont juste volées à la vie des gens », Tristan Harris nous éclaire un peu plus : « Le téléphone sera cette chose qui rentre en compétition avec la réalité, et gagne. C’est une sorte de drogue. Un peu comme les écrans de télévision, mais disponibles tout le temps et plus puissants. Le problème, c’est que ça nous change à l’intérieur, on devient de moins en moins patient avec la réalité, surtout quand c’est ennuyeux ou inconfortable. Et parce que la réalité ne correspond pas toujours à nos désirs, on en revient à nos écrans, c’est un cercle vicieux. Ce qui est mauvais, c’est que nos écrans, en nous ‘remplissant’, tout en nous donnant faussement l’impression de choisir, menacent notre liberté fondamentale de vivre notre vie comme on l’entend, de dépenser notre temps comme on le veut. Et remplacent les choix que l’on aurait fait par les choix que ces entreprises veulent que l’on fasse. C’est quelque chose qui va exister de toutes façons, donc la réponse n’est pas : jetons la technologie par la fenêtre. La réponse à l’addiction n’est pas l’abstinence parce que ça serait transféré ailleurs. La réponse à l’addiction est de connecter les gens entre eux. »


  • Enfin, la boutique de l’application permet d’acheter des objets utilisés pour capturer plus de Pokemon et contribue à un système « Pay to Win », moteur d’inégalités entre ceux qui ont les moyens d’acheter ces objets et les autres. Pour être le « meilleur dresseur », il faut donc soit y passer beaucoup de temps, soit y dépenser son argent...

Le film, devenu culte, Fight Club sorti en 1999 n’a rien perdu de son actualité pour exprimer ici ce que je peux ressentir :
« Putain, j’vois ici les hommes les plus forts et les plus intelligents que j’aie jamais vu. J’vois tout ce potentiel, et j’le vois gâché. J’vois une génération entière qui travaille à des pompes à essences, qui fait le service dans des restos, qui est esclave d’un petit chef dans un bureau. La pub nous fait courir après des voitures et des fringues, on fait des boulots qu’on déteste pour se payer des merdes qui nous servent à rien. On est les enfants oubliés de l’histoire mes amis, on n’a pas de but ni de vraie place ; on n’a pas de grande guerre, pas de grande dépression. Notre grande guerre est spirituelle, notre grande dépression, c’est nos vies. La télévision nous a appris à croire qu’un jour on serait tous des millionnaires, des dieux du cinéma ou des rock stars, mais c’est FAUX. Et nous apprenons lentement cette vérité. On en a vraiment, vraiment, plein le cul. »

Alors bien sûr, tout n’est pas noir : « les jeunes sortent, créent des communautés », et c’est également une formidable opportunité pour le tourisme et la culture !

En effet, le jeu peut constituer une véritable aubaine pour les lieux touristiques et culturels : un monstre rare peut attirer une foule immense de jeunes joueurs. "En quelques semaines, le jeu a prouvé qu’il était capable d’affecter des lieux du monde réel en créant des raisons virtuelles de s’y rendre.."

L’enjeu identifié est ainsi de rattacher le jeu à plus de sens, une finalité plus élevée comme la culture et le patrimoine. Le jeu devient alors un prétexte à une visite culturelle gamifiée, plus interactive.

« Pokémon Go nous pousse à examiner les monuments historiques de la ville où nous nous trouvons, et que l'on ne voyait pas forcément avant. Je pose un oeil neuf sur la cathédrale de Toul, sur de petites sculptures en façade de vieilles maisons du XVe, sur des abbayes ». Témoignage de joueur

Différentes stratégies peuvent ainsi être mises en place dans cette optique : 

-       Surfer sur la tendance par de la communication, des offres promotionnelles, le développement des produits dérivés... 

-       Aider les joueurs par la création de carte collaborative, l’organisation de guides et de chasses en lien avec les offices de tourisme comme par exemple le Pokébus à Nimes, la carte de Pokemon à Rouen, la Poké Rando à Rennes

-       S’inspirer du gameplay pour proposer de nouvelles visites plus interactives et ludiques : jeux d’aventure, chasse aux trésors, courses d’orientation, balades interactives, paysage vidéoludique comme par exemple les solutions proposées par l’entreprise Atelier Nature.
Pour conclure, comme nous le rappelle Johanna Gutkind dans cet article intitulé ‘Pokémon Go : la chasse aux touristes est ouverte’ 
« Une fois le Pokémon capturé, regardez ce qui s'y passe autour. Peut-être que le vrai trésor se trouve là ! »

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