dimanche 15 janvier 2023

2023, une année placée sous le signe de la reconnaissance !

En 2023, je vous souhaite d'exercer votre pouvoir de reconnaître ! 


Parce que la reconnaissance est cette ‘mémoire du coeur’, parce que c’est ‘apprendre à connaître à nouveau’, parce que c’est ‘mettre au monde l'autre’, parce que la reconnaissance tisse la trame de notre commune humanité, je vous souhaite d’exercer votre pouvoir de reconnaître durant cette année 2023 (et même après) !

Reconnaître ses proches, ses amis mais aussi l’étranger et soi-même. Exprimer de la gratitude. Dire merci à la vie d'être au monde. 

Cette reconnaissance, si on la décompose : ‘re-conaissance’, ‘reco-naissance’ ; une connaissance pour porter un regard neuf sur le monde et aller de naissance en naissance….

« Peut-être que l’on ne peut se reconnaître que dans autrui. Peut-être qu’il faut passer par quelqu’un d’autre que soi pour se connaître et se reconnaître. » Christian Bobin

A child's heart contemplating the dawn - Image generated by Midjourney

vendredi 28 octobre 2022

2040, Et si on slashait ?!

La première édition de la Biennale ECOPOSS, "Osons l'éloge du futur !" a eu lieu du 26 au 30 octobre 2022. Organisée par l'Université catholique de Lille, il s'agit d'une "grande dynamique citoyenne, scientifique, artistique, pédagogique" qui est amenée à "faire naître un rapport différent à l'autre, à la nature, à l'humanité, à la technique". 

Dans ce contexte, j'ai été invité par Techshop Lille à co-animer un atelier intitulé 'X Ray Management’ avec HÉMiSF4iRE - Design School autour des compétences cachées et des mad skills, de la pédagogie expérientielle et du maquettage et dont je vous partage la copieuse restitution. 

L'atelier a démarré sur une introduction sur la notion de "Mad Skills" définie comme des compétences : 

  • originales, singulières et hors du commun 
  • développées via des activités extraprofessionnelles (non conformistes, non conventionnelles dans le contexte professionnel de la personne)
  • et transposables en entreprise 
Ces compétences dites "folles" peuvent être rapprochées de la notion de talent mais également de génie, qui, historiquement, est liée à celle de folie. Elles font également échos à la tendance à l'hybridation des compétences et des expériences de vie extraprofessionnelle débouchant ainsi sur de nouveaux métiers en entreprise comme par exemple ceux de consultant-dessinateur, de maker éducateur ou de technopédagogue, de creative technologist ou de celui de patient expert.  

Plus globalement, dans un contexte d’archipellisation de la société, du développement du travail à la demande et du travail à distance, de la quête de sens des individus et d’épanouissement au travers d'activités rémunérées et choisies, se développe la figure du slasher, un travailleur cumulant plusieurs activités professionnelles en même temps (un pluri-actif). 

Voici le support de cette présentation.


L'atelier s'est ensuite poursuivi par un atelier de maquettage en équipe d'une idée sous contrainte (et avec élégance) pour faire prendre conscience de ses compétences cachées qui pourraient être utiles à son organisation. En effet, il est bon de connaître ses talents et d'en faire profiter le collectif car comme le dit Jean Duforest : "J'ai trop souvent vu dans mon entreprise des chèvres qui voulaient faire du miel et des abeilles qui voulaient faire du lait !"

Puis l'atelier a continué par la lecture d'une prospective fiction, écrite spécialement pour l'occasion et retraçant la journée de Christophe, véritable slasher en 2040 à la fois maker / aidant / réparateur de cycles / sculpteur virtuel dans le métaverse / permaculteur et qui développe différentes compétences et talents en fonction de ses diverses activités.


Cette histoire cherche à questionner notre rapport au monde physique / virtuel, à valoriser l’état d’esprit du faire et la culture des makers dans le futur, à montrer l’importance des mad skills et des valeurs de l’artisanat dans l’évolution du monde du travail, et à poser cette question : 'Et si les slashing devenait la norme de l’organisation du travail demain ?'

Cette fiction s'inspire librement de différentes sources comme celle de la dernière édition de la Maker Faire Lille 2022, de différents ouvrages comme celui de Bernard Stiegler, L'emploi est mort, vive le travail ! ou de celui de Laëtitia Vitaud, Du labeur à l'ouvrage : Pourquoi l'artisanat est le futur du travail, du film documentaire Why do we even work? (2022) et de la vision de la Maker City. La conclusion reprend le résumé du livre de Philippe Gabilliet, L'Eloge de l'audace et de la vie romanesque. Et si l’éloge du futur débouchait sur l’éloge de l’audace ?! Car il suffit d’oser…  

Je tiens à remercier particulièrement Noémie Aubron de l'agence d'innovation 15marches qui m'a partagé ses bonnes pratiques et recettes pour écrire un récit de prospective fiction. La méthode est notamment résumée dans cet article. Je vous invite à découvrir la newsletter Futur(s) par 15marches, dans laquelle Noémie raconte le futur en fictions, avec un regard à l'intersection entre évolution de nos comportements et du numérique. <3

Après cela, l'atelier s'est prolongé par un dialogue uchronique en 2040 avec Christophe W. qui nous a partagé ses souvenirs du futur et nous a raconté son parcours, sa vie, son oeuvre de slasher... 

Christophe W., voyageur du futur et sculpteur virtuel dans le métaverse...

Enfin, l'atelier s'est conclu par la rédaction et le partage d'une carte postale du futur, prétexte à partager nos meilleurs souvenirs et rêves du futur. 


Ces formats inédits de prospective fiction, testés à ECOPOSS, vont, à mon sens, se développer dans les prochaines années, tant le besoin d'inventer de nouveaux récits collectifs et désirables devient urgent et vital dans notre époque de nouvelle Renaissance !  

Oser l'éloge du futur, c'est selon moi, faire le pari de la confiance en l'avenir et surtout, cultiver la gourmandise du futur ! Bon appétit :-P
   

lundi 3 janvier 2022

Belle année 2022 reliée !


Je vous souhaite une belle année 2022 reliée !

Une année qui relie parce que ce qui nous lie nous grandit.


et car… tout est re-lié dans notre monde complexe aux multiples crises systémiques (sanitaires, sociales, économiques, écologiques…). 


Or, comme l'explique Edgard Morin, « la pensée complexe est la pensée qui relie. Il faut, pour tous et pour chacun, pour la survie de l’humanité, reconnaître la nécessité de relier, de se relier aux nôtres, de se relier aux autres»


De plus, la complexité (du latin ‘complexus’, tisser des liens) peut nous rendre libre : les liens ne sont pas facteurs d’aliénation, bien au contraire, ils nous libèrent ! 


L'éducation elle-même est d'abord une relation… et elle nous apprend la relation : nous naissons immatures, puis nous nous inventons dans notre relation aux autres. Michel Serres dans le Tiers-Instruit écrivait que « Tout apprentissage consiste en un métissage» L’éducation est indissociable du métissage des cultures.


Tout part en effet du lien. Au commencement est la relation, ‘le lien qui nous rattache aux autres’ comme le raconte si bien Jean-Claude Ameisen dans l'émission Sur les épaules de Darwin. « Nous ne savons pas à quel point est profondément ancré en nous le lien qui nous rattache aux autres ou, en d’autres termes, à quel point serait étrange l’idée d’un ‘Je’ qui existerait en l’absence d’un ‘Nous’ » car « le monde subjectif est aussi un monde intersubjectif, le monde de ‘Je’ et de ‘Tu’, et tracer une frontière entre les deux n’est pas facile, parce que les autres font partie de nous. » écrit Siri Hustvedt dans La femme qui tremble.


C'est pour cela qu'en 2022, je vous souhaite de continuer à créer des ponts et à tisser des liens : avec les personnes et les vivants que vous rencontrerez, entre les disciplines que vous étudierez, entre les univers que vous explorerez.


En tant qu'entrepreneur dans l'éducation, je continuerai de bâtir des relations de confiance entre les acteurs de l’entreprise, du territoire et de l’éducation car une grande partie des réponses aux défis de notre Temps viendra de l’ouverture et de la collaboration en intelligence collective.   


En 2022, faisons de nos espaces, des lieux de relation et continuons de renforcer nos liens ! 


Belle année reliée… à vous-même, aux autres et au monde !


« Qui se soucie de cet entrelacement de causes invisibles, d’effets inconnus qui tissent la trame de nos jours ? » Paul Guimard


Concours du tissage du plus grand karma (foulard en coton à damier traditionnel du Cambodge)
Photo Samrang Pring à Phnom Penh 


samedi 2 janvier 2021

2021, une année pleine de sens !

Confiance et Optimisme pour l’année 2021

Confiance et Optimisme pour l’année 2021 ! 

Une année pleine de (bon) sens… c’est ce que je nous souhaite après une année 2020 où nous avons perdu certains de nos repères, où nous avons été immergés dans l’incertitude et où nous avons dû apprendre à naviguer à vue, à travers les vagues épidémiques, sans nous laisser submerger par la peur. 


Une année 2020 en bleu, pour reprendre la belle expression de Martin Steffens, auteur de la Vie en bleu, pourquoi la vie est belle même dans l’épreuve car la vie n’a pas besoin d’être parfaite pour être merveilleuse. Un moment de vide... de Co-vide où nous avons été à la fois seuls confinés et ensemble soudés, seuls ensemble en quelque sorte. Une invitation peut-être à nous recentrer sur l’essentiel dans nos vies : redécouvrir notre intériorité, nos liens d’amour et d’amitié, oser suivre sa propre voie, voir le monde comme si c’était la première fois…


Car dans la tempête, ce qui nous permet tout de même d’avancer dans la bonne direction c’est la vision d’où nous voulons aller ; garder le cap quand les éléments tout autour de nous se déchaînent. Pour cela, il nous faut avoir un phare et des étoiles pour nous guider : en cette période d’Epiphanie après Noël, je nous souhaite de suivre l’étoile des mages prenant la route et d'être vous-même un phare pour éclairer votre route et surtout celles des autres. 


En 2021, « il est grand temps de rallumer nos étoiles » & de parier sur la confiance en l'avenir pour que nos bons voeux se réalisent et nous réalisent ! 

 

mardi 12 novembre 2019

Soirée Vivre l’économie autrement - L'entreprise altruiste

Le mardi 5 novembre 2019, a eu lieu la soirée "Vivre l'économie autrement" sur le thème de l'entreprise altruiste, organisée par Nicolas Cordier au Centre Spirituel du Haumont en écho au nouveau livre d'Isaac Getz et Laurent Marbacher, sorti chez Albin Michel

Cette thématique rejoint une question majeure dans les entreprises : comment œuvrer vraiment pour le bien commun tout en prospérant ?


D'après les auteurs, une entreprise altruiste est une entreprise dont toutes les activités de coeur de métier servent ses interlocuteurs externes - clients, fournisseurs, communauté locale, jeunes, anciens - de façon inconditionnelle et qui, grâce à cela prospère.

Ces entreprises ont le bien commun comme unique ambition, sans le conditionner à la recherche du profit. Par le principe d'obliquité, ces entreprises altruistes sont pourtant très prospères ! Commencer par s'arrêter pour se transformer, faire le pari de confiance en l'autre, savoir donner avant de recevoir, transformer ses clients en amis fidèles par une relation authentique tels sont quelques principes que ces entreprises appliquent en se focalisant d'abord sur la valeur sociale plutôt que sur la création de valeur économique qui en est une conséquence indirecte.

Retrouvez le compte-rendu de cette soirée en mind mapping de cette soirée téléchargeable ici et sur Slideshare.


Alors, prêt à s’enrichir en donnant tout ?! 


lundi 7 janvier 2019

Pétillante année 2019 ! 🍾


Inspiré par le fameux extrait de La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules de Philippe Delerm, je vous souhaite une pétillante année 2019 ! :-)

Deux mille dix-neuf, pour regarder l’avenir avec un regard neuf, pour faire de chaque matin une année nouvelle, pour vivre chaque nouvelle journée au charme que nous lui trouverons lorsqu’elle ne sera plus qu’un souvenir, pour voir enfin les choses comme si c’était la première fois : le sublime privilège de l’enfance ! 👶

Car comme l’écrivait Jean d’Ormesson : « il faut aller de l’avant, vers l’avenir. Ce qu’il y a de mieux dans la vie, c’est l’avenir, ce sont les enfants. Le monde n’est fait que de matins et d’enfants. »
🦄 En bonus, voici un petit message optimiste de l’Institut des Futurs Souhaitables pour bien démarrer l'année !! 🙏

dimanche 30 septembre 2018

L'Eglise liquide : vers des formes nouvelles !

A la suite de mon précédent article sur la société fluide, je vous propose d’étudier ce que pourrait être l’Eglise dite 'liquide' ou comment réinventer l'Eglise dans la modernité liquide ? avec la présentation d'initiatives concrètes et innovantes qui germinent un peu partout en France et dans le monde !
Photo : Bogomolje - Biram DOBRO

Cet article fait référence au concept de "modernité liquide" développé par le sociologue Zygmunt Bauman qui caractérise la société contemporaine de 'liquide' car plus flexible, précaire, soumise à une évolution effrénée et perpétuelle, dans un état de changement permanent vis-à-vis d'une société traditionnelle 'solide' car "basée sur la stabilité des institutions et sur la stabilité sociale, économique et géographique." Notre société est devenue liquide parce que "les liens permanents et les relations sociales sont de plus en plus impalpables" telles les liaisons faibles entre les atomes d'une molécule d'eau. "Statut social, identité ou réussite ne sont définis qu’en termes de choix individuels et fluctuent rapidement."

Il n'y a pas si longtemps, la tradition religieuse était encore fortement ancrée dans la société et régissait toute la vie : il était courant qu'à la naissance, les enfants étaient baptisés et, lorsque l'on se mariait, on le faisait majoritairement à l'église (76% de mariages catholiques en 1972 vs 30% en 2010). Les personnes qui sortaient du cadre et qui ne respectaient les traditions étaient systématiquement stigmatisées comme les enfants nés hors mariage ou les couples divorcés remariés. La fin de la chrétienté comme système social est marquée en France par l'effondrement de la pratique dominicale, estimée à 25% dans les années 60 et tombée aujourd’hui à 2%, selon un sondage IPSOS publié dans La Croix en janvier 2017. L'écart et la fracture avec le monde contemporain ont été croissants au fil du temps.

Nous pouvons ici reprendre les propos de Gabriel Monet dans son article L’Eglise émergente : un état des lieux : "Les changements socio-culturels ici très [trop] rapidement évoqués posent la question de l’adaptation culturelle de l’Eglise. L’Eglise a-t-elle pour vocation, dans un monde où tout change, de ne pas évoluer et de témoigner de ce qui est immuable ou bien d’accompagner les mutations afin de mettre en valeur l’actualité toujours neuve de l’Evangile." 

« Toutes les Églises sont prises aujourd’hui dans ce débat entre tradition et innovation. Reproduire ou traduire ? Préserver le “dépôt de la foi”, ou risquer des mots qui renouvellent ? Comment l’Église va-t-elle assumer cette situation nouvelle, et s’inscrire dans cette mutation ? Entre les modèles dont elle a hérité, et la nouveauté qu’elle affronte, entre enracinement et itinérance, comment va-t-elle prendre corps ? » Gérard Delteil, Paul Keller, L’Église disséminée. Itinérance et enracinement, Paris, Cerf, 1995, p. 7-8.

A cette question posée, Brian McLaren répond sans détour : « Vous voyez, si nous avons un nouveau monde, nous aurons besoin d’une nouvelle Eglise. Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle religion en soi, mais d’un nouveau cadre pour notre théologie. Pas d’un nouvel Esprit, mais d’une nouvelle spiritualité. Pas d’un nouveau Christ, mais d’un nouveau type de chrétiens. Pas d’une nouvelle dénomination, mais d’un nouveau type d’Eglise. […] Or la réalité est là, il y a un nouveau monde » Brian McLaren, Reinventing Your Church, Grand Rapids, Zondervan, 1998, p. 13-14. 

La vie sociale et les aspirations ayant évolué, l’Eglise comme institution séculaire et solide par nature, héritant des cadres du passé, a elle aussi besoin d'évoluer en fluidifiant ses formes afin de s’adapter à notre société devenue liquide, sécularisée, pluri-culturelle, numérique et plus complexe. L’Eglise émergente, ici décrite comme liquide, se veut être ce nouveau type d’Eglise plus en phase avec le monde dans lequel nous vivons et dans laquelle la synodalité ou la participation de tous s'exprime pleinement. 

Essayons dans cet article de dresser les contours et de définir ce que l’on peut entendre par Eglise émergente ou liquide où il ne s’agit pas tant de réfléchir à des pistes pour 'liquéfier' l’Eglise que de penser l'Eglise dans la modernité liquide.

Cet article et cette réflexion sont nés à la suite d'une présentation remarquable sur les paroisses liquides par Arnaud Join-Lambert, théologien à l'Université de Louvain lors du synode provincial Lille-Arras-Cambrai (LAC) dont le thème était "Inventer les paroisses de demain." (cf article "Le synode LAC comme Troisième Révolution Industrielle de l’Église locale  ?").

Voici une présentation en vidéo avec Arnaud Join-Lambert par les Dominicains de Belgique autour de l'Eglise liquide  :


Arnaud Join-Lambert nous explique que ce sont les théologiens anglo-saxons, qui les premiers, ont approfondi le concept d'Eglise liquide, comme Pete Ward dans son ouvrage paru en 2002 : "Liquid Church : A bold vision of how to be God’s people in worship and mission - a flexible, fluid way of being church" ; en français - L'Eglise liquide : Une vision audacieuse de la manière d'être le peuple de Dieu dans le culte et la mission - une manière souple et fluide de faire église. Pour lui, L'église liquide s’inscrit dans la mobilité et la flexibilité de la société d’aujourd’hui. 


Arnaud Join-Lambert explique qu'appliquée à l’Église, "la liquidité traduit plusieurs déplacements spécifiques, dont une vie chrétienne basée sur l’activité spirituelle et non sur des structures, un décentrement de l’office dominical, une part croissante des 'commençants' ou des 'recommençants 'par rapport aux fidèles de toujours, et le passage limité dans le temps au sein d’une église précise."


L'accent est donc mis sur toutes les relations et les moments qui font église : vie chrétienne dans des communautés informelles, mouvements, festival de musique, etc, plutôt que sur l'organisation sociale et les structures : "c’est l’activité spirituelle des participants qui constitue le fondement de l’église et non plus des structures et des bâtiments". "La question fondamentale n'est pas tant la structure que la manière de mettre en oeuvre la mission" et "la véritable église, ce n’est pas l’organisation sociale, mais la Parole de Dieu".


L'article de Jacques Debouverie du centre pastoral Saint Merry : "Inventer l'église et les paroisses de demain" résume bien la pensée d'Arnaud Join-Lambert. "La paroisse solide a traditionnellement pour mission de proposer « tout, pour tous, en un lieu » (Borras). Or l’église solide dans un monde liquide n’arrive pas à relever le défi de la mission du « pour tous »."

"Le problème n’est pas ceux qui viennent encore dans les paroisses solides mais tous ceux qui n’y viennent pas ! (...) En ne faisant que répondre aux besoins religieux de certains, les paroisses solides ignorent ou négligent de facto la soif spirituelle du plus grand nombre (Voir "la logique du guichet" selon Laurent Villemin)." "Sauf exception, la paroisse traditionnelle est incapable de susciter l’élan vers les périphéries existentielles, au cœur de la culture contemporaine. Elle ne parvient qu’au seuil, qu’au parvis, alors que la rencontre avec l’autre se déroule ailleurs, plus loin ou dans des lieux virtuels. "

"Selon Ward, il est donc urgent de réformer lorsque l’Église locale commence à ressembler à un club. Cette Église-club est une réponse à la question terriblement réaliste posée par Ward : pourquoi si peu de gens voient-ils l’Église comme un lieu où trouver ce qu’ils cherchent ? Les paroisses solides seraient de fait dans l’incapacité d’honorer le désir d’authentiques expressions spirituelles qui s’expriment hors d’elles-mêmes, laissant cela à des communautés religieuses anciennes ou nouvelles noyées par l’ampleur du défi." 

"Au projet de la paroisse classique « tout, pour tous, en un lieu », s’ajouterait un « par tous » de l’église liquide, à entendre ici comme l'appel à tous les baptisés et la possibilité pour chacun de déployer tout ce dont il est capable en vue de la mise en œuvre du sacerdoce commun affirmé par Vatican II."

Cela fait écho à ce que j'appelle "l'entrepreneuriat religieux" qui est un défi lancé à chaque baptisé d'assumer sa responsabilité de baptisés d'annoncer l'Evangile et d'aider l'Eglise dans sa mission en entreprenant des projets dans l'Eglise et pour le monde. Cela questionne bien évidemment l'organisation même d'une paroisse où pourrait émerger un nouveau ministère de communion assuré par le fait d'un "coordinateur professionnel". Les relations de hiérarchie en sont modifiées car le système vertical basé sur l’obéissance et homogénéité ne marche plus. La figure du prêtre évolue de chef spirituel à celle de facilitateur spirituel et 'community manager' ("un passeur plutôt que pivot" écrit Christoph Theobald), rôle partagé avec des laïcs de plus en plus engagés comme par exemple dans la mission de coordinateur laïc de paroisse en cas d'absence physique d'un curé sur place. La gouvernance  des paroisses évolue donc nécessairement vers plus de partage des tâches et des responsabilités dans un esprit de synodalité (qui étymologiquement veut dire 'franchir le seuil de la porte ensemble').

Un autre théologien, Leonard Sweet, a développé dans son livre "AquaChurch 2.0: Piloting Your Church in Today's Fluid", "une image de l’Église en prenant celle d'un bateau, qui conserve alors une part de solidité dans un monde devenu fluide, mais qui n’a plus de point d’ancrage social ou culturel". L’Église devient ici une sorte de nouvelle arche de Noé.


Dans l'exhortation apostolique Evangelii gaudium, le pape François reconnaît même que "l'appel à la révision et au renouveau des paroisses n'a pas encore donné de fruits suffisants pour qu'elles soient encore plus proches des gens, qu'elles osent être des lieux de communion vivante et de participation, et qu'elles s'orientent complètement vers la mission.

Il est donc nécessaire d'inventer une église liquide qui vise une nouvelle présence au monde et qui favorise "les relations, la communication et la logique de réseau." L'enjeu serait de faire percevoir l'Eglise comme un réseau de personnes et non pas comme une institution. La notion de catholicité peut aider à faire percevoir cette dimension de grand réseau à portée universelle qui connecte les gens ensembles par la communion. La paroisse peut, en effet, être définie comme une "communauté de communautés" de personnes et un lieu de communion fraternelle. Contrairement aux "structures" de naguère, dont la raison d’être était d’attacher par des noeuds difficiles à dénouer, les réseaux servent autant à déconnecter qu’à connecter...

Arnaud Join-Lambert prend l'image du précipité chimique pour illustrer la complexité de ce rapport solide/liquide : "Le mélange de deux liquides appropriés provoque un précipité aux effets solides, visibles et durables (quoique parfois instables). Dans la postmodernité, les deux composants : société et Église sont liquides. Il s’agit pour l’Église de s’ajuster et de se diversifier afin que la rencontre suscite une réaction, un précipité solide (même instable) et visible dans différents milieux et cultures. Une Église qui sortirait vers les périphéries, avec un style approprié, pourrait voir surgir du sens et de l’espérance là où il n’y en avait plus." 

"Quand mon ami Tétaz parle de l'obsolescence de la paroisse dans une société liquide, il a tort." - Pierre Loup
Des formes d'Eglise liquide 

Dans sa lettre de rentrée aux prêtres, diacres, salariés et bénévoles du diocèse de Paris, parue le 3 septembre 2018, Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris écrit : "Après avoir interrogé les différents acteurs pastoraux du diocèse, il est apparu que cet élan missionnaire devait continuer et trouver de nouvelles voies pour le monde d’aujourd’hui. Ce monde vers lequel nous sommes envoyés, les sociologues l’appellent « liquide ». Les relations humaines sont fluctuantes et on demande une adaptabilité permanente aux citoyens dans leur travail et dans leur manière de vivre. Aussi, j’ai demandé au Père Étienne Grenet de créer un pôle missionnaire, avec une équipe de son choix, pour recenser toutes les initiatives existantes dans les paroisses, dans les mouvements et ailleurs, être un lieu de ressources pour les paroisses qui souhaiteraient lancer des missions et auraient besoin d’être accompagnées. Cette équipe explorera de nouvelles voies et pourra enrichir le diocèse par sa créativité missionnaire." 

Il convient donc de présenter ici des initiatives s'inscrivant dans cette dynamique de créativité missionnaire car ces nouvelles formes de faire Eglise existent bel & bien déjà ! 

Dans ses publications, Arnaud Join-Lambert parle "d'incubateurs" pour qualifier "des projets d’une certaine ampleur, caractérisés par l’innovation, initiés par les institutions ecclésiales, diocèses ou congrégations religieuses, propres au milieu urbain et qui favorisent la démarche spirituelle individuelle mais surtout la rencontre de personnes autour de thématiques communes. C'est notamment le cas des maisons d’Église qui fleurissent un peu partout en France. 

Bâties au cœur des villes, elles offrent une présence catholique aux périphéries des paroisses. Un forum leur a été consacré le 14 octobre 2017 à Nanterre dont voici le dossier de presse« Lieux de rencontres, d'activités, de réflexion, de moment de recueillement, les maisons d'Église se placent dans une logique de rencontre avec la société, en abordant des thématiques contemporaines telles que la famille, l'isolement, le travail, la précarité dans une société de consommation. » Ouvertes à tous, elles permettent également à des laïcs de « s’investir dans leur vie de chrétiens autrement que par les activités paroissiales. » 


En France, on peut citer par exemple Notre-Dame-de-Pentecôte sur le parvis de la Défense, St Joseph à Grenoble pour la pastorale des Jeunes, la Maison Saint-François-de-Sales dans le diocèse de Nanterre, l'Accueil Marthe & Marie dans le quartier Humanicité à Lomme-Capinghem dans le Nord ou la Maison Saint Pierre Saint Paul à la plaine Saint Denis. Cette dernière, ouverte depuis 2014, se définit comme un espace pour souffler et reprendre souffle pour les salariés et habitants du quartier et situé au coeur d'un quartier d'affaires. On y pratique diverses activités spirituelles (messes, adoration) ou non (sophrologie, concert de musique classique, ...).

En Allemagne, des centres accueillants et créatifs se sont développés au cœur des grandes villes. Appelés "Citykirchen", ce sont des lieux ouverts dans des zones de grande fréquentation, des oasis de silence, des lieux de pause ainsi que des lieux d’événements, d’expositions, d’activités sociales ou éducatives. " Ces Citykirchen sont soit une église (non paroissiale ou déparoissialisée) aménagée de façon particulière selon la finalité du projet ou avec des espaces propres, soit une construction adaptée au projet. Leur promotion passe par internet et les réseaux sociaux ; leur ouverture est non-stop : des personnes qualifiées font l’accueil, la souplesse et l’ouverture laissent émerger des projets innovants."
En Suisse, à Genève, il existe Le Lab : le laboratoire de l’Eglise protestante de Genève à destination des jeunes adultes, qui a notamment ouvert une antenne LGBTI avec une spiritualité inclusive, propose des ateliers de méditation mindfulness mélangée avec la spiritualité chrétienne, ainsi que des célébration inclusives et interactives dans une ambiance canapés-sofas au sein même du temple. 


Outre-Manche, l'Église d'Angleterre a, quant à elle, encouragé le développement de nouvelles initiatives, appelées « Fresh Expressions ». Les Fresh Expressions d’Église sont de "nouvelles formes d’Église qui émergent au sein de la culture contemporaine changeante et tournées principalement vers les personnes qui ne vont pas à l'église." Elles ont commencé à être développées à partir du rapport 'Mission-Shaped Church', datant de 2004 et réfléchissant à comment l'Eglise pouvait être façonnée par et pour la mission avec le désir d’être une "Eglise de témoins".

L’enjeu pour l’Eglise n’est donc plus seulement d’accueillir ceux qui viennent déjà, mais de sortir des murs pour rejoindre ceux qui n’ont pas de lien avec la communauté chrétienne (= les périphéries), pour partager l’Evangile avec eux, et pour faire Eglise avec eux.


Une interview de Guillaume de Clermont, pasteur et président du Conseil Régional de l'Eglise Protestante Unie de France en Région Ouest sur les "idées folles", déclinaisons des Fresh Expressions d'Outre Manche est disponible sur RCF https://rcf.fr/actualite/actualite-religieuse/fresh-expression


En France, une église originale pour surfeurs existe à Hossegor : la Surf Church Hossegor ; une église protestante qui se décrit comme une alternative aux paroisses chrétiennes plus traditionnelles et conservatrices de la région. 


Cette nouvelle église locale est composée de surfeurs et de locaux. Elle se situe dans une chapelle surnommée Notre-Dame des Dunes face à la plage. Le culte est bilingue en français puis traduit en anglais.


Le film "l'église sur l'océan" raconte l’histoire de la création de la Surf Church : une plongée particulièrement instructive qui met en lumière ses membres fondateurs qui apprennent à vivre en missionnaires dans un monde sécularisé. 

« Nous voulons construire une communauté de personnes qui se sentent aimées et qui s’aiment les unes les autres tout en explorant ensemble la vie, et la foi. Nous voulons faire partie d’une église où il y a de la bonne musique, de l’enseignement de qualité et un but commun où chacun a un rôle à jouer. » 


La Surf Church est clairement une forme d'église liquide qui casse les codes traditionnels de l'Eglise pour inventer une église plus "expérientielle" : "le format spontané du culte, la musique et la grande place de la discussion rendent cette communauté exceptionnelle aux yeux de leurs fidèles. C’est ce qui les poussent à faire parfois jusqu’à une heure de route pour assister au culte et aux analyses bibliques, ce qui les pousse à chanter des cantiques rock, à troquer soutanes et chapelets pour maillots de bains et bracelets brésiliens." 

Ce reportage photos décrit bien en commentaire l'ambiance qui y règne : « À l'intérieur, rien n'à voir avec une église traditionnelle. Nous trouvons des canapés, des fauteuils et un bar. Ils proposent des cafés et des parts de gâteau. Sur le comptoir, à coté de la Bible, de la wax est en vente. Deux bouts de bois cloués en forme de croix ornés d'une guirlande lumineuse font office de crucifix. Le culte commence en musique..."

Par ailleurs, on voit émerger un peu partout en France de nouveaux tiers-lieux d'Eglise informels sous forme de bars chrétiens, cafés du curé ou cafés culturels & espaces de co-working. 

La chaîne KTO a notamment co-produit avec Crescendo Films un film documentaire en octobre 2018 sur les "Bars catholiques, l'Église hors les murs" :

Depuis son ouverture en 2015, Le Comptoir de Cana prend la forme d'un bar solidaire, situé au coeur du Vieux-Lille dans le Nord. C'est un lieu convivial et fraternel où l'on déguste de bons plats et où l'on partage des verres comme de la bière qui est de "l’amitié liquide" (Ronny Coutteure). L'unique salarié et la trentaine de bénévoles sont attentifs à la qualité de l'accueil et de l'écoute et favorisent les rencontres et les échanges sans masque et en confiance. 

Aquarelle réalisée par Jean Pattou dans le cadre de l'exposition 'Pattou à la table de Cana'
L'expérience est largement décrite dans mon précédent article de blog : Le Comptoir de Cana, le visage d'une église liquide et solidaire.


Dans la même dynamique, partout en France se développent des "Cafés du Curé" comme à Annecy où deux cafés ont ouvert en 2016 sur l'impulsion du curé de la paroisse sainte Jeanne de Chantal. Ce sont des lieux de convivialité et de rencontres « comme à la maison » pour faire sortir « l’Eglise hors de ses murs » et être au plus prêt de ceux qui veulent s’arrêter. Une forme « Evangile incarnée » en quelque sorte.

Photo : Bénévent Tosseri



Dans la même optique, Le Bistrot du Curé au sein de l'abbatiale de Notre-Dame-en-Saint-Melaine à Rennes ouvre tous les samedi soirs à la suite d'une messe Pop Louange organisée par les jeunes. C'est un lieu dans l'église de convivialité qui permet aux jeunes et moins jeunes de se rencontrer, apprendre à se connaître en continuant la célébration.

A Lyon, l'association "les Alternatives catholiques" qui a pour but de promouvoir l’engagement des laïcs dans la cité, a ouvert depuis 2015, Le Simone : un café associatif et culturel et un espace de bureaux partagés (coworking). L'initiative propose concrètement des réponses à la question : "Comment être un citoyen catholique dans la culture et dans l’entreprise ?". Y sont proposées de nombreux ateliers de discussion, conférences & débats autour d'enjeux politiques contemporains, éclairés à la lumière de l'enseignement social de l'église, dans un esprit d'ouverture refusant les clivages entre 'cathos tradi' et 'cathos progressistes'.


Le témoignage de l'un de ses fondateurs est également un symbole d'une "pratique liquide", caractéristique des jeunes d'aujourd'hui : « Notre génération JMJ est vierge de ces oppositions, de ces combats qui ne nous parlent même pas et la doctrine sociale de l’Eglise permet de faire l’unité. » En extrapolant, ces jeunes chrétiens peuvent passer d'une paroisse et d'une sensibilité spirituelle à l'autre sans problème selon leurs besoins du moment : "de la pop louange au rite tridentin dans la même semaine" pour caricaturer en exemple. L'affiliation à un groupe ou à une paroisse devient temporaire.


A Paris, un cousin du Simone a ouvert depuis 2017, Le Dorothy, sous la forme d'un Café atelier associatif où des activités manuelles, intellectuelles, artistiques et sociales sont proposées dans un esprit de fraternité.

Egalement sur Paris, a ouvert récemment le premier espace de coworking jésuite : Cowork-Magis.


Il s'agit d'un lieu de travail partagé, porté et animé par les jésuites et destiné à des jeunes indépendants et porteurs de projets. Le projet se caractérise notamment par la possibilité d’un accompagnement professionnel et spirituel (discernement et aide à la prise de décision) issue de la tradition des Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola. Le Cowork-Magis est une des dimensions de la Maison Magis, un espace de créativité qui s'étend sur plus de 1000 m2 et où s’élaborent des relations sociales nouvelles, respectueuses de la diversité des personnes et de l’écologie. Un lieu pour se rencontrer, se former, collaborer, servir, créer, prier, célébrer…

Dans un monde en mutation, une Eglise en pleine reconfiguration

Toujours dans cette même dynamique entrepreneuriale et cet esprit d'innovation qui souffle dans l'Eglise, les startups d'Eglise dans le domaine numérique sont également le symbole d'une Eglise qui se renouvelle dans ses formes vers plus d'agilité et de créativité

On peut par exemple citer les entreprises comme Ephatta, le site de l'hospitalité chrétienne (tel un "Airbnb chrétien" avec un accueil à valeur ajoutée solidaire), la plate-forme de financement participatif chrétienne Credofunding, l’application Go-confess (le "Uber de la confession"), le réseau de chaleur humaine Entourage ou bien l'agence digitale Angel Tech. 

Ces startups s'intègrent parfaitement dans l'économie dite collaborative qui favorise le partage, l'esprit d'ouverture et l'intelligence collective de ses acteurs : une véritable opportunité pour l'Eglise dont les valeurs traditionnelles sont proches de cette nouvelle économie du partage. Les nouvelles technologies permettent de co-produire, de co-innover et de co-consommer. On remarque également une évolution vers une "économie créative" dans laquelle les talents individuels se manifestent et où l’esprit d’initiative se répand.

Afin de promouvoir ces projets innovants & numériques au service de l’Eglise et des croyants, a été créée l'association Eglise et Innovation Numérique qui oeuvre pour fédérer ce nouvel écosystème de cathos 2.0 appelé La ChurchTech et qui se rassemble chaque année lors de l'événement Pitch My Church, qui vise à présenter des projets numériques au service de l'Eglise.


"Le digital au service du réel, la disruption au service de l'Église" 

Un autre format disruptif et liquide est celui des "hackathons d'Eglise" qui se développent en France à l'image des hackathons internationaux comme Tech to Preach par les dominicains et plus récemment VHacks au Vatican. 

En avril 2018, la première édition du HackaSens, le hackathon du sens s'est déroulée au centre spirituel du Hautmont dans le Nord. 

A Lyon, sous l'impulsion notamment d'Yves-Armel Martin a été lancée l'initative Hack My Church en mai 2015 : un marathon créatif de 3 jours pour imaginer et prototyper des services ou dispositifs innovants pour l'Eglise du XXI° siècle. Ce laboratoire d’innovation temporaire se situe au croisement de l'intelligence collective, de la créativité et de l'agilité numérique et fait participer des créatifs, développeurs, communicants, makers passionnés de Dieu qui imaginent et réalisent des prototypes de médiation spirituelle au service de la diffusion de l'évangile. 

Art sacré numérique, jeu sérieux spirituel, réseau social de paroisse, objets de piété connectés, les idées ne manquent pas pour que "le virtuel puisse servir le spirituel" à l'image du projet empreint de poésie et de modernité : Light my Prayer, au frontière de l'art numérique, de la prière et du participatif.




Dans la même veine, l’Alliance biblique française en collaboration avec Hackmychurch a organisé en septembre 2018, le premier hackathon Hack my Bible pour inventer la Bible 3.0. 


Cyberthéologie : forme de théologie de l'Eglise liquide ?

Portée dans cette nouvelle culture numérique et liquide, le père jésuite  Antonio Spadaro développe depuis plusieurs années une réflexion théologique sur "l’intelligence de la foi au temps d’Internet", appelée cyberthéologie qu'on pourrait rapprocher des réflexions théologiques sur l'Eglise liquide dans le cyber-continent : "penser la foi à la lumière de la logique du Net."


"Plus qu’un simple outil au service de l’évangélisation, le Net est un nouvel espace où le désir de Dieu s’exprime d’autant plus aisément qu’il favorise les liens de communion entre les hommes."

De même que dans les paroisses liquides, "le contenu de la foi et la manière de croire ne changent pas. En revanche, la pratique d’Internet a un impact évident sur notre façon d’exprimer et de penser la foi."

"Comment le Net et sa logique connective changent-ils ma manière d’écouter et de lire la Bible ? Comment modifie-t-il ma compréhension de la Révélation, de l’Église et de la communion ecclésiale, de la liturgie et des sacrements ? Le défi, dès lors, n’est plus seulement de bien « utiliser » Internet, comme on le croit fréquemment, mais de bien « vivre » au temps d’Internet. Bien plus qu’un nouveau moyen d’évangélisation, Internet est un environnement à part entière, un milieu à habiter et dans lequel la foi est appelée à s’exprimer."

L'Eglise liquide pourra donc largement s'inspirer de la logique et de la culture d'Internet qui fluidifie les échanges pour mieux rendre témoignage à l'époque dans laquelle nous vivons.

Photo: cathobel.be

Eglise liquide, une réponse aux attentes des jeunes

Bien que des formes plus agiles et liquides existent déjà depuis de nombreuses années au travers des mouvements chrétiens et des communautés nouvelles, des tiers-ordres séculiers et fraternités laïques à l'image par exemple des communautés du Chemin Neuf ou de l'Emmanuel et des Fraternités laïques dominicaines pour ne citer qu'elles, on peut constater l'apparition d'une myriade d'initiatives diverses dont l’intuition commune est de "montrer que l’église n’est pas juste une messe du dimanche mais une communauté de croyants suivant Jésus et aimant Dieu."

Le point commun de ces formes liquides d'Eglise est donc le côté chaleureux & informel des manifestations qu'elles organisent, hors des cadres traditionnels et où la notion de service est au coeur de ces communautés ouvertes qui facilitent les rencontres entre des personnes chrétiennes ou non croyantes qui recherchent toutes des réponses dans leur vie, dans un esprit missionnaire mais sans prosélytisme. Ces nouveaux lieux sont des incubateurs de spiritualité chrétienne : des lieux de bouillonnement où se déploie l'innovation et la créativité missionnaire de ses membres. 


Cela correspond bien aux attentes des jeunes générations pour le synode des évêques sur les jeunes, la foi et les vocations d'octobre 2018 : "l’attente d’une Église exemplaire, vraie, crédible, cohérente, irréprochable… (…) ; une Église en mouvement, ouverte, vivante, moderne, dynamique et réactive ; une Église qui éclaire, guide, soutient, apaise, sécurise, donne des repères ; une Église visible, décomplexée, qui communique davantage et de manière plus audacieuse ; une Église qui offre du vivre-ensemble, de la rencontre, de la fraternité. En résumé, une vision de l’Église non pas institutionnelle mais relationnelle."

Eglise liquide, Eglise mosaïque

Au côté d'un modèle unique d'Eglise présupposée solide, centralisée et institutionnalisée se développe donc une Eglise liquide, protéiforme et plurielle constituée d'une mosaïque d'expériences répondant chacune à un contexte et aux besoins spécifiques des fidèles tout en gardant un socle commun : la foi en Christ qui garantit cette "unité dans la diversité" et évite l'uniformité


Comme l'avait écrit Saint Paul aux Corinthiens : « Il y a, certes, diversité de dons spirituels, mais c’est le même Esprit ; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous » (1Co 12, 4-6). L’Esprit Saint "suscite une grande richesse diversifiée de dons et en même temps construit une unité qui n’est jamais uniformité mais une harmonie multiforme qui attire." Dans le Document Préparatoire au synode des jeunes, on peut ainsi lire que « par rapport au passé, nous devons nous habituer à des parcours d’approche de la foi toujours moins standardisés et plus attentifs aux caractéristiques personnelles de chacun » (DP III, 4). 

Comme l'écrit le père Henri-Jérôme Gagey, théologien, vicaire général du diocèse de Créteil : "Dans ce contexte de postmodernité, il faut inventer une manière contemporaine de vivre l’Évangile. Il ne s’agit pas de l’adapter en en modifiant le message, mais de faire en sorte qu’il touche les gens dans leurs problèmes quotidiens. La difficulté est de prendre en compte la pluralité de la société, et en premier lieu la grande diversité des chrétiens. Les institutions comptent, mais elles ne sont pas premières. C’est parce qu’une Église retrouve des intuitions spirituelles fondamentales qu’elle va pouvoir résoudre des problèmes d’organisation, et non l’inverse." 

Cette réflexion est également illustrée dans le livre Church for Every Context de Michael Moynagh, pasteur, théologien et expert en prospective qui a notamment mis en valeur l'essor des innovations et des communautés nouvelles de 'fresh expressions' en Angleterre et qui est décrit dans cet article.

Une complémentarité entre Eglise solide et liquide

Nous pouvons conclure que malgré tous les reproches que l'on peut faire à l'église traditionnelle dite 'solide', l'Eglise 'liquide' ne cherche pas à tout déconstruire et à 'jeter le bébé avec l'eau du bain'. Il ne s’agit pas de "renoncer à la spécificité la plus précieuse du christianisme pour se conformer à l’esprit du monde mais de chercher de nouvelles manières de transmettre le message chrétien dans cette nouvelle culture." Ainsi, il s'agit d'envisager les complémentarités entre l'Eglise solide et liquide car "plus on fluidifie les formes, plus il faut solidifier le fond"

Il s'agit d'adopter un double mouvement : à la fois, fluidifier les formes de l’institution pour la rendre plus moderne et plus proche de nos contemporains 'en se faisant Grecs avec les Grecs' mais également comme le souligne le pape François qui a évoqué par deux fois cette liquidité : le défi d’une forme de solidité qui fasse sens dans ce contexte. cf Pape François, Homélie pour la clôture du jubilé pour les huit cents ans de la fondation de l’ordre des Dominicains, 21 octobre 2017 ; Discours à l’Université pontificale catholique du Chili, 17 janvier 2018.

En étudiant la démarche de l'Eglise d'Angleterre qui encouragent les nouvelles formes d’Église (cf fresh expressions), Michael Moynagh a théorisé ce qu'il appelle une « économie mixte » où tradition et innovation, héritage et nouveauté trouvent leur place à l’intérieur de la fameuse « Mission Shaped Church ». 

"L’économie mixte propose un modèle de co-développement des formes anciennes à côté des formes nouvelles à l’intérieur de la même Eglise. L’Eglise est appelée non seulement à renouveler ses formes existantes (paroisses), mais à faire de la place pour des initiatives qui cherchent à toucher de nouveaux publics. Dans cette dynamique, un rôle important est donné à l’institution. D’abord, pour reconnaître que la diversité d’expressions de foi est une richesse et non pas une menace pour l’Eglise. Ensuite, pour encourager l’expression d’une diversité d’approches communautaires de l’évangélisationContrairement à ce que craignaient beaucoup, les nouvelles formes d’Eglise n’entraînent pas de polarisation entre l’ancien et le nouveau, ni une plus grande fragilisation encore des paroisses. Il ne s’agit donc pas de rejeter l’église classique. Cette église structurée, cadrée, 'solide' répond toujours à des besoins. Elle va améliorer son fonctionnement. Mais, à côté, un nouveau courant en phase avec la 'modernité liquide' qui caractérise la culture contemporaine, est en train de naître et il a besoin d’être reconnu et encouragé."

Eglise liquide ou comment devenir un surfeur dans la foi

Comme le rappelle le père Henri-Jérôme Gagey : "La Nouvelle Evangélisation, c'est marcher sur les eaux." L'évolution du monde nous invite donc comme Saint Pierre à "sortir de notre barque & à rejoindre le Christ" au coeur du monde contemporain. Face au tsunami du changement, il nous faut donc adopter la posture du surfeur car comme nous le rappelle la Surf Church : "le surf est un sport de la foi : quand on surf, il faut avoir la foi car vous partez dans l’inconnu et avez l’espérance de surfer une belle vague. » 


Cela nous oblige donc à abandonner notre volonté de tout contrôler et de se mettre à l'écoute du Christ pour nous abandonner à lui : "Il s'abandonne au juste rythme, le reste suit tout seul. C'est comme un sportif : à un moment, toute sa volonté, il l'abandonne au juste rythme. Car c'est le rythme qui va le faire gagner, pas la volonté. Si tu regardes un surfeur, tu t'aperçois que c'est lorsqu'il s'abandonne à la vague et obéit à un certain rythme qu'il réussit les figures les plus belles et les plus longues ; tandis que s'il s'accroche à sa volonté, il est assuré de tomber. Donc, il ne cherche plus à vouloir, il cherche le bon rythme. Cela n'est plus de la raison, c'est de l'intuition, du senti." Jade et les sacrés mystères de la vie, François Garagnon

Ces nouvelles formes d'Eglise liquide nous invitent donc à nous remettre en question, à être capable de nous défaire de certaines façons de faire trop rigides (solides) pour en adopter de nouvelles, de manière complémentaire, plus agiles et créatives (liquides) : c’est un appel à la prise de risque, à la perte des acquis, à sortir de son confort et à faire ce pari de la confiance en l'avenir c'est-à-dire de l'espérance. 


Car il suffit d'oser !

Sitographie de l'article 

Présentation en images
La présentation donnée lors des Assises du réseau CCBF (Conférence catholique des baptisé-e-s francophones) avec Anne-Sophie Hourdeaux le 5 octobre 2019 sur les initiatives innovantes dans l'église est disponible en téléchargement sur Slideshare.