dimanche 25 février 2018

Le Comptoir de Cana : le visage d'une église "liquide" et solidaire

Le Comptoir de Cana fêtera en mars 2018 ses 3 ans

L'occasion de dresser un premier bilan de cette aventure originale et singulière et d'en mesurer les fruits afin de capitaliser sur nos 3 années d'expérience et de les partager au plus grand nombre...

A l'initiative de la pastorale des jeunes du diocèse de Lille et ouvert en mars 2015, Le Comptoir de Cana est un tiers-lieu d'Eglise qui prend la forme d'un bar solidaire, situé dans le Vieux-Lille. On peut le qualifier d'espace d'innovation chrétienne (laboratoire d'Eglise) où il s'y fait des rencontres improbables. On peut y parler de tout, y compris de foi dans une ambiance de détente, de joie, d’amitié et d’attention à l’autre. Le bar est géré par une trentaine de bénévoles regroupés dans une association qui emploie un salarié et un service civique. Le projet possède son propre modèle économique et sa propre autonomie financière de part son activité commerciale de vente de boissons et de planches. Son concept est articulé autour de 3 verbes-clés : accueillir, surprendre et déguster

Vous pouvez retrouver ici le dossier de presse et de présentation initial du Comptoir de Cana.

Aquarelle réalisée par Jean Pattou dans le cadre de l'exposition 'Pattou à la table de Cana'
Sa création repose sur différents constats repris dans la dynamique du synode provincial Lille-Arras-Cambrai (LAC) sur le thème 'Inventer les paroisses de demain' ainsi que dans les appels du pape François de vivre une "Eglise en sortie", plus ouverte et "orientée vers les périphéries existentielles" ainsi qu'une Eglise plus fraternelle et missionnaire

Je considère ainsi le Comptoir de Cana comme une nouvelle forme d'église dite 'liquide' (Pete Ward) : plus ouverte sur l'extérieur, agile, en réseau, moins centrée sur les structures ou les institutions et au contraire plus centrée sur les activités spirituelles et en action. Soeur Nathalie Becquart, directrice du SNEJV parle à juste titre de l’émergence de nouveaux « lieux conviviaux et fraternels, où l'on est attentif à la qualité de l'accueil et de l'écoute, où l'on peut échanger sans masques, vraiment en confiance, et qui sont finalement assez rares dans la société."

A l'heure où de nombreuses personnes et diocèses nous expriment leur intérêt quant au projet avec l'intention pour certains d'en dupliquer le concept localement, il nous a semblé nécessaire de bien redéfinir quel était l'essence même du projet et de son concept de "bar chrétien" bien que nous n'ayons pas l'ambition d'en poser une définition définitive. 

Voici un dossier de présentation du concept de bar chrétien et du Comptoir de Cana téléchargeable ici ou sur Slideshare  


Nous avons eu de nombreux échanges en équipe autour de la dimension chrétienne du bar et dans quelle mesure elle devait être revendiquée : est-ce 'un bar chrétien' ou plutôt 'un bar comme les autres' tenu par des chrétiens ? Comment communiquer sur sa dimension chrétienne en lien avec son histoire et son identité sans risquer de faire peur ? Quel quel est le positionnement chrétien et son axe de différentiation à approfondir ? Comment assurer sa mission d'évangélisation en trouvant le juste équilibre et sans tomber dans le prosélytisme ? 

Il n'y a pas de réponse arrêtée mais nous avons choisi d'abord d'incarner et de vivre la dimension chrétienne avant de la proclamer. Le Comptoir se doit donc d'être un lieu d’espérance et de témoignage où doit se voir et ressentir la joie de croire. Ce n'est donc pas un bar identitaire mais  au contraire un bar comme les autresouvert à tous, chrétiens ou non, sans prosélytisme et porté par une communauté chrétienne dans l’esprit du Christ, qui favorise la rencontre, l'échange et le partage sur les questions spirituelles si l’on en a envie. C’est une nouvelle forme "d'évangélisation douce" qui témoigne d’abord de l’Evangile sans l’annoncer ouvertement et en respectant la liberté de croire ou pas de chacun. Quelques détails dans la décoration & les animations font signe de la présence chrétienne dans le bar : autant de "clins Dieu" qui rappellent son identité chrétienne et peuvent proposer un 'autrement' par rapport à d'autres bars plus conventionnels. Par leur mission pastorale et de faiseurs de liens, les bénévoles sont les premiers évangélisés en se laissant transformés par celles et ceux qu'ils rencontrent au Comptoir. 

William T. Cavanaugh, théologien indique ainsi que « la vie chrétienne n’est pas un refus du monde, une contre-culture mais une affirmation. En tant que chrétien, vous serez toujours plus attirant en vivant concrètement ce que vous pensez, en étant témoin. Je préférerais par exemple que les chrétiens créent des communautés économiques vraiment différentes, et pas seulement qu’ils manifestent devant la banque mondiale... Il faut que le Corps du Christ se voie fortement à travers la vie radicalement différente de ses membres. »

Au final, la réflexion de Dominique Mabille, diacre et ex-gérant de L'Escale au Havre, malheureusement fermé début 2015, résume bien la mission du projet : "L’intérêt d’une présence chrétienne dans un bar – et non pas un bar chrétien – c’est tout d’abord se mettre au service des autres même sans dire que c’est au nom du Christ. À la manière de l’accompagnement incognito du Christ sur le chemin d’Emmaüs. À la manière aussi du sel de la terre : très peu de sel suffit ! C’est un vrai lieu diaconal où se vit particulièrement la mission du seuil. Un pied dans l’Église un pied dans le monde. Pour moi un diacre ou un baptisé ne doit pas d’abord être dans le chœur de l’église mais doit partout avoir l’Église dans le cœur. L’aventure est très difficile car on est en permanence sur une ligne de crête entre la réussite commerciale et la qualité des rencontres et des partages."

Nous avons par ailleurs réalisé une mesure d'impact du Comptoir de Cana afin de mesurer ses fruits et résultats auprès de sa communauté de clients & de bénévoles pour la période de mars 2015 à l'ouverture jusque décembre 2017. 

Les 4 principaux impacts évalués sont les suivants :
  1. Le témoignage d’une Eglise qui innove : ses impacts en communication auprès de ses clients chrétiens et non chrétiens, dans la presse et les médias ainsi que sur les réseaux sociaux
  2. Un tiers-lieu solidaire : ses impacts sociaux notamment par ses actions de solidarité
  3. Une start-up d'Eglise : ses impacts économiques liés à sa création de richesse 
  4. Un Laboratoire "action tank" d’Eglise : ses impacts spirituels et d'innovation

Voici un dossier présentant la mesure d'impact et principaux indicateurs du Comptoir de Cana téléchargeable ici ou sur Slideshare  


Avant d'ouvrir le Comptoir, l'équipe fondatrice a ainsi travaillé pendant 2 ans afin de définir la bonne recette et rassembler les bons ingrédients : trouver un lieu, un concept, un gérant et un modèle économique ! C'est pour accélérer le développement de ce type de lieu & concept qu'un mode d'emploi non exhaustif regroupant nos retours d'expérience a été rédigé.

Le document suivant est destiné à toutes personnes intéressées par l'aventure du Comptoir de Cana et plus particulièrement à celles & ceux qui voudraient ouvrir, dans leur ville et leur diocèse, un concept de bar similaire. Il peut être accompagné des dossiers et des fichiers du projet ; pour les obtenir, vous pouvez envoyer une demande à l'adresse mail : lecomptoirdecana@gmail.com

Voici le dossier présentant le mode d'emploi et des retours expérience du Comptoir de Cana téléchargeable ici ou sur Slideshare  

En résumé, porter à terme un tel projet ne s'improvise pas et constituer une équipe de personnes convaincues du projet et issues de différents univers est l'une des clefs de la réussite. Le soutien du diocèse et la bénédiction de l'évêque est également déterminant pour donner de la légitimité au projet.

Il nous a fallu comprendre le modèle économique et le fonctionnement d'un bar entre les principales charges à prendre en compte (achat des matières, masse salariale et loyer) et les contraintes réglementaires à respecter (hygiène, licence IV, ...).

Mon conseil pour celles et ceux qui voudraient se lancer dans une telle aventure serait de garder la foi dans la durée car, comme dans toute création d’entreprise, l’ouverture d’un bar reste une épreuve de foi : l’important, c’est d’y croire jusqu’à la réalisation concrète du projet. Dans ce type de projet, il faut savoir relever les défis, traverser les tempêtes et partager les exploits en équipe. C’est une création passionnante, parfois dans les deux sens du mot “passion” : enthousiasme mais aussi souffrance... Il faut donc garder confiance et se laisser porter par l'Esprit qui nous guide & au bout d'un moment, décider de franchir le pas !

Comme nous l'indiquait l'un de nos fondateurs au moment de l'ouverture :

"Il faut maintenant vous décider et avancer avec celles et ceux qui le veulent.
C’est un pari, bien sûr. 
On n’est sûr de rien, c’est vrai. 

C’est une affaire de confiance, assurément ! 

On peut bien sûr attendre encore, chercher d’autres lieux, d’autres budgets, d’autres personnes, d’autres signes, d’autres assurances, d’autres coups de cœur... mais in fine, les questions seront toujours les mêmes... 
Pour ma part, les encouragements et les soutiens de tant de personnes dès qu’on parle de ce projet, les avancées considérables faites depuis quelques semaines, les feux qui sont passés « au vert » pour un tas de questions, me font dire que cette affaire-là n’est pas une lubie, ou un caprice, mais un appel à oser quelque chose de neuf pour l’annonce de l’évangile. 

J’y vois comme un appel. » 


En conclusion et au bout de 3 années d'expérience, le Comptoir de Cana n'a jamais fini de se définir car il demeure en constante évolution et remise en cause dans ses formes afin de toujours aller chercher d’autres moyens d’attirer et de satisfaire les visiteurs, d’essayer d’autres idées... Il reste néanmoins fidèle à ses valeurs et à son concept initial.

Nous espérons qu'il pourra inspirer les réflexions lors du prochain synode des évêques d’octobre 2018 qui portera sur « les jeunes, la foi et le discernement des vocations », initié par le pape François.

« Venez et voyez » 

Enfin, je ne peux que vous inviter à y venir déguster une bonne bière d'abbaye ou la planche du père abbé et si vous avez un peu de temps à donner, à y devenir bénévole ! Car...

Le Comptoir de Cana est avant tout une expérience à vivre !